Les sensations du son
La maîtrise de son expression passe par le plaisir, d’autant plus spontané et gratifiant qu’il résulte d’une décontraction, plutôt que d’un effort physique.
On ne se sent plus !
La relaxation assure en effet la qualité du son.
« La pensée engendre la volonté, ça c’est sûr, la volonté détruit l’envie et sans envie il n’y a pas d’équilibre,
sans plaisir pas de réussite.Oui, ce sont des petites phrases, mais c’est quand même la vérité, ce n’est pas compliqué, c’est l’art de rester soi-même, seulement pour rester soi-même, il ne faut pas être dans la tête, c’est pour ça que l’on peut dire qu’il faut avoir confiance en soi.
Il faut être artiste,
Robert Pichaureau, À tous vents
il faut avoir une décontraction expressive,
c’est-à-dire, comme le dit Mme Hoppenot
dans “Le violon intérieur“, le tonus dans la décontraction. »
« Il faut se régaler avec la musique.
Robert Pichaureau, Expressions favorites
Le son doit être vécu.
La vie est dans les tripes.
La tête doit rentrer dans les épaules, vous devez vous tasser, devenir un TAS !«
« Moins on dépense d’énergie dans la technique de production du son, plus on est disponible pour la créativité.
Ainsi, en jouant de la façon la plus décontractée, on permet à ses facultés créatrices et à ses émotions de se manifester facilement. »
David Liebman, Developing a Personal Saxophone Sound – (Traduit par Guy Robert)
« Tout est dans la décontraction ; dans la musique, pour moi, tout est dans la décontraction : si l’on est coincé en jouant, la musique aussi est coincée.
Et si l’on arrive à être totalement libéré, on est dans un état de véritable jouissance (…) »
Eddie Daniels, The Music of Eddie Daniels, Eddie on Standards – Warner Bros Music 0742B – PP 6031 – 2005 – (Traduit par Guy Robert)
aie confiance…
À ce propos, George Kochevitsky analyse dans son ouvrage The Art Of Piano Playing la relation entre la synchronisation musculaire et le son produit.
La stabilisation des images mentales proprioceptives facilite le conditionnement du corps. Ensuite, ce corps préparé reste disponible pour la vibration, en laissant se développer les images associées à la pose du son et à son rayonnement : parmi les sensations ressenties, celle d’être centré sur le son reste essentielle pour la continuité de l’intonation, comme si elle émanait des talons.
Cette approche est bien entendu valide pour tout instrument et a une influence directe sur la technique du jeu produite par les doigts, combinée avec l’articulation de la langue dans le cas des instrumentistes à vent.
« { Ludwig Deppe (1828-1890) écrivit que le son doit être produit non pas par l’action des doigts, mais par le mouvement coordonné des constituants du bras. }
Ludwig Deppe attendait d’elle (Amy Fay, l’une de ses élèves) qu’elle écoute attentivement chaque note dans toute sa durée, en imaginant la hauteur et l’intensité de la suivante, et alors seulement de passer avec précaution de l’une à l’autre.«
« Et tant que la convergence n’est pas réalisée entre l’intention musicale, la commande du mouvement, les sensations correspondantes et l’écoute discriminante du résultat, aucun geste n’est pertinent.«
« (…) les éléments de base du développement de la technique pianistique sont les sensations proprioceptives. Par suite, toute imprécision dans ces sensations émanant de l’activité digitale résulte à coup sûr en une technique imprécise à ce niveau-là.«
« L’instrumentiste doit percevoir une sensation proprioceptive bien définie pour chaque mouvement, qui ne doit pas se confondre avec la suivante, ni être estompée par elle. »
George Kochevitsky, The Art Of Piano Playing – (Traduit par Guy Robert)
Le placement
Le musicien à vent affine son placement interne en captant la position du diaphragme à la toute fin de son inspiration spontanée, puis il amène l’instrument à sa bouche : il laisse alors cette sensation couler vers l’arrière en laissant vibrer l’expiration jusque dans le sol, puis dans l’espace – à l’instar de la voix comme le montre Alfred Tomatis dans L’oreille et la voix.
l’aura vibrante
La vibration interne jaillit de la colonne de son et nourrit le chant, ensuite amplifié par l’instrument du musicien.
Grâce au lâcher-prise, cette sensation vibrante se développe globalement à partir de plusieurs zones interagissant et irradiant le corps entier : le Hara, les talons, la tête et le centre de résonance de l’instrument. Cette configuration stable permet de maîtriser un son et une articulation homogènes sur toute la tessiture, et assure en particulier la cohérence de jeu entre le saxophone et la clarinette.
La concentration sur la source du chant interne tire l’intention musicale, tout en éliminant les tensions inutiles : la voix rayonne autour de soi.
« Ainsi l’acte chanté permet d’entamer un dialogue avec l’espace. Il crée un mouvement de communication par le bain vibrant qu’il façonne à l’aide de l’air vivant qui pénètre chaque individu.«
« L’air vibre tandis que le corps vivant le met en résonance, mais ce dernier sera d’autant plus à l’aise qu’il bénéficiera en retour de sensations sur lesquelles s’élaboreront des connexions presques perceptibles avec le fluide acoustico-sonore ambiant.«
« Lorsqu’un véritable professionnel de la voix, expert en technique, nous emporte avec lui dans ses sensations proprioceptives (respiratoires, pharyngées, laryngées, buccales), avec lui nous respirons large, avec lui notre pharynx s’ouvre, notre larynx joue sans contractures. L’articulation s’effectue en souplesse, passant d’une syllabe à l’autre sans heurt tandis que la ligne mélodique se poursuit sans défaillance.«
« (…) tout l’enseignement porte sur des sensations à transmettre. Ces sensations sont destinées à devenir des perceptions, c’est-à-dire qu’elles sont appelées à accéder à la conscience. Elles deviennent ainsi aptes à être reconnues et reproduites. Dès lors, elles peuvent être provoquées à volonté, et font appel à la sollicitation musculaire qui leur est associée. De là, une structure neuro-perceptivo-musculaire se met en place, dont l’aboutissement est un geste intégré.«
« (…) l’art de chanter consiste à acquérir une maîtrise de soi et à atteindre le maximum de rendement acoustico-sonore avec le minimum d’effort musculaire.«
« (…) les sensations proprioceptives sont réparties non seulement sur les territoires plus spécialement mis à contribution dans l’acte chanté, tels que le larynx, le pharynx, l’appareil respiratoire, etc…, mais aussi sur tout le corps qu’il asperge littéralement de stimulations acoustiques.«
« De surcroît, le chant apporte de multiples sensations internes également stimulantes, car tout le corps se prend à vibrer. Celui-ci constitue en effet, dans l’acte chanté bien conduit, un instrument vibrant.«
Alfred Tomatis, L’oreille et la voix
En d’autres termes, la non-poussée (on ne souffle pas !), combinée avec la sensation verticale du Hara, permet à la vibration de se diffuser en montant du sol à travers les pieds, comme celle du violon intérieur de Dominique Hoppenot.
le plaisir du jeu
Le but est de pouvoir re-produire à volonté la sensation gratifiante de sa vibration interne, en re-trouvant rapidement l’attitude appropriée : cette configuration du corps est garantie par la confiance en soi liée à la stabilité de la source du son, qui ne demande qu’à être révélée et instantanément ranimée, pour être ensuite amplifiée par l’instrument.
« La motivation la plus constructive dans la conquête de l’instrument est une motivation de plaisir (…)«
« Notre démarche consiste en réalité à prendre une conscience intime et aigüe de ce que l’on ressent dans un geste ou dans plusieurs gestes combinés jusqu’à pouvoir les retrouver et les refaire exactement sans le moindre doute, sur simple évocation mentale instantanée de la sensation trouvée.«
« Les sensations ne peuvent naître qu’en donnant une forme à nos désirs, donc en créant des images mentales qui leur correspondent (…)«
« La sensation juste correspond à un bien-être personnel à chacun, adapté à l’image mentale préalable (…).«
« Lorsque la sensation sonore est juste, il y a “résonance“, mise en vibration du corps, donc plaisir. La résonance est un maître, un vérificateur. Toutes les autres sensations intervenant dans le jeu lui sont reliées.«
« (…) force nous est de constater qu’une exécution n’existe qu’à travers le plaisir de la “vibration“.«
« Celui qui a trouvé sa voix, c’est-à-dire sa sonorité, n’a plus à la rechercher ni à redouter sa faillite puisqu’elle est. Il lui suffit de l’appeler sans jamais la forcer, de la laisser venir et de la “laisser faire“ au gré de son maître, la musique !«
Dominique Hoppenot, Le violon intérieur