La posture pour le son
La posture du musicien vise à favoriser la fusion de son corps et de son instrument.
Le corps s’aligne pour vibrer
En visualisant ses racines, on les imagine plongeant dans le sol, à partir de cet arbre virtuel représenté par la colonne de son : on est planté là, bien stabilisé (durant l’inspiration imaginée dans les talons, le bassin bascule naturellement vers sa position d’équilibre), puis la relaxation centrale descend jusque dans le sol, et la colonne de son se met à vibrer grâce au muscle transverse de l’abdomen.
la voix ouverte par la posture
Alfred Tomatis montre la nécessité de cette préparation du corps, dans L’oreille et la voix.
« On chante avec son corps. »
« (…) avant même qu’un son soit émis, il existe tout un apprêt, et un apprêt conscient de la “mise en forme“ du corps afin que celui-ci puisse par là même acquérir le schéma postural qui lui convient pour devenir l’instrument du chant. »
« (…) il faut que s’immisce en soi une image corporelle bien définie, spécifique de l’acte chanté. Elle implique que soit organisée psychologiquement une attitude mentale qui infléchit à son tour une posture, laquelle répond elle-même à un complexe physiologique fonctionnel capable de résonner aux accents vocaux. »
Alfred Tomatis, L’oreille et la voix
En enchaînant l’inspiration naturelle avec le lâcher-prise du diaphragme, on dégage la colonne de son jusqu’aux racines du tronc virtuel imaginé : sa verticalité assure la résonance optimale du corps du chanteur ou de l’instrumentiste.
« Il s’institue (…) au niveau du vestibule {de l’oreille} puis globalement, un circuit de contrôle complexe, certes, mais qui met tout le corps en aptitude d’énergétisation, en même temps qu’il lui accorde la statique et surtout la verticalité et la perfection des mouvements. »
« (…) la posture d’écoute appelle une verticalité bien affirmée de la colonne vertébrale. »
« Lorsqu’on est en mesure de se contrôler tout en conservant la posture d’écoute, le corps s’allonge littéralement à la recherche d’une verticalité souvent inhabituelle. (…) Dès lors, le bassin se prend à basculer en avant tandis que le sujet debout a une certaine tendance à fléchir légèrement les genoux (…) »
« Le sacrum semble prendre sa posture telle que le sujet a l’impression d’être confortablement assis sur son propre bassin. (…) les côtes basses sont écartées au maximum, le diaphragme trouve sa plus grande extension, et son jeu d’amplitude en sera ainsi facilité, la musculature abdominale sera tendue sans excès, jouant synergiquement de concert avec le diaphragme. Point n’est besoin de bander cette musculature. »
« (…) grâce à la posture d’écoute et d’auto-écoute, et grâce à la posture corporelle, le corps obéira afin de délivrer toutes les sensations proprioceptives qui président à la verticalité (…) »
Alfred Tomatis, L’oreille et la voix
Le corps se fond dans l’instrument
On éprouve alors la sensation d’être assis sur la source du son, dans son Hara qui oriente la posture (comme le montre Marie-Christine Mathieu), et à cet instant seulement entre en jeu l’instrument / amplificateur. Ainsi, bien calé sur la ceinture du transverse de l’abdomen autour de ce point central, on oublie le haut de son corps, au-dessus du diaphragme.
« The problems affecting most saxophonists are often self-inflicted. By that, I mean unnecessary bodily tensions accumulate over time and become habitualized. This results in the player’s inability to relax enough to find a physically comfortable and aesthetically pleasing tone. »
David Liebman, Developing a Personal Saxophone Sound
la posture vers le piano
Pour un musicien jouant debout, la position de jeu découle de l’ancrage sur ses racines, par lesquelles la colonne de son plonge dans le sol. Afin d’assurer cette verticalité, il s’imagine assis sur son bassin, centré sur la source du son : ainsi ramassé vers le bas, calé sur ses talons, et faisant abstraction de la partie supérieure de son corps, sa vibration interne décolle.
Cette attitude concerne également le pianiste, qui éprouve cette verticalité virtuelle lui aussi jusque dans les talons, assis sur son siège, plongeant ses pieds dans le sol.
Dans son ouvrage The Art Of Piano Playing, George Kochevitsky montre comment l’effacement des bras libère la technique du pianiste.
« (…) deux autres idées étaient mises en avant par les représentants de l’école anatomico-physiologique : le jeu des membres pesants et la relaxation (…) »
« {En 1905, Rudolf Maria Breithaupt (1873-1945) publia Die Natürliche Klaviertechnik. } Breithaupt, fervent défenseur de cette idée, proclamait que l’élément le plus important de la technique était d’avoir le bras relâché et pesant (…) Dans la troisième édition de son ouvrage, il écrit que le but ultime de la performance artistique est “la prédominance de l’esprit sur le corps, la libération de la matière, l’affranchissement de la gravité : seule une légère sensation d’équilibre doit subsister de celle-ci…Il va sans dire que dans le cas des mouvements les plus rapides, le poids des membres semble quasiment annihilé.«
George Kochevitsky, The Art Of Piano Playing (traduit par Guy Robert)
le violon libéré
La vibration intérieure est transmise à l’instrument / amplificateur par les doigts du pianiste, par l’embouchure du saxophoniste ou du clarinettiste, par les lèvres du trompettiste, par la clavicule du violoniste (non gênée par le coussin qui interrompt la vibration) : ce maillon transmetteur (doigts, lèvres, clavicule) doit être le moins contraint possible afin de libérer la résonance optimale de l’instrument.
Dominique Hoppenot parle ainsi du fondement de l’équilibre :
« C’est un vestige d’obscurantisme que de passer une vie de labeur et de recherches en ignorant que toutes les difficultés posées par la sonorité, les démanchés, le vibrato, le sautillé, le staccato, etc… sont pratiquement résolus quand l’équilibre parfait du corps est réalisé. »
« Ce qui compte, c’est l’équilibre global du corps, c’est la sensation générale vécue à l’intérieur et non pas un geste ou un détail isolés, observés de l’extérieur. »
« Lorsque le dynamisme et l’opposition des forces sont parfaitement réalisés, il ne peut y avoir de serrages et d’appuis exagérés, pas plus que d’effort volontaire pour retenir l’instrument. »
Puis, la tête et les membres doivent évoluer librement :
« Aucun mouvement de la tête ne doit aller chercher le violon comme s’il était un objet extérieur au corps ; c’est lui qui vient au corps sans pour autant changer notre position. »
« Le but de la non-tenue des instruments est de libérer totalement la sensibilité de nos doigts qui nous donnent alors l’impression de sortir directement de notre bouche pour parler et “dire“ la musique. »
« (…) il ne faut jamais perdre de vue que chaque geste met en jeu la totalité du corps, dans son aspect statique aussi bien que dynamique. »
Le tronc devient transparent (sans mouvement des épaules ni du thorax), et, tassé vers le sol, on prend conscience du rôle de chaque zone de son corps dans la production du son :
- la tête, fondue dans l’embouchure perçue idéalement le plus bas possible, jusque dans les talons ;
- les membres supérieurs, se terminant dans l’instrument ;
- l’abdomen, aspiré par la source du son (le Hara) ;
- les membres inférieurs, transformés en racines propageant le son dans le sol et dans l’espace.
« C’est de notre centre de gravité, situé au niveau de la troisième vertèbre lombaire, région que les orientaux nomment le “hara“, que surgit toute notre énergie. »
« Il est indispensable que les muscles de soutien – en particulier ceux du dos – jouent leur rôle, libérant ainsi les extrémités de toute surcharge, leur donnant l’indépendance et la légèreté nécessaire et conférant aux bras une souplesse jusqu’alors inconnue. »
« (…) cette liberté est uniquement réalisable lorsque les problèmes techniques sont dominés, lorsque la confiance dans le résultat est totale, et surtout lorsque le corps laisse passer le flux musical, sans y faire obstacle par la moindre tension ou crispation superflue. »
« La décontraction pour l’artiste est une nécessité absolue. »
Dominique Hoppenot, Le violon intérieur
L’enracinement part du bassin
Pour revenir aux instrumentistes des bois, leur embouchure doit être assez souple pour que la vibration interne se propage pleinement à travers l’anche, l’instrument restant en équilibre sur leur corps bien planté.
« Axer son esprit, pendant tout le temps que se déroulera le souffle, sur le travail des muscles du dos ; grâce au travail de ces muscles, vous aurez votre équilibre et vous « resterez vertical ».«
Robert Pichaureau, La respiration
« La tête et le corps ne font qu’un. Pousser le sol avec les pieds à la suite d’une inspiration.«
Robert Pichaureau, Expressions favorites
« L’équilibre du corps debout se construit au niveau du bassin, et non des membres inférieurs.«
Marie-Christine Mathieu, Gestes et postures du musicien