Mes réflexions sur la production du son du musicien se développent autour des concepts suivants :
Le son et la vibration interne
En découvrant le saxophone alto, après la clarinette, j’ai pris conscience de la nécessaire fondation du son, résultant de la maîtrise de la vibration interne au corps : en évitant toute contraction physique perturbant le geste musical (“les tensions rétrécissent le son“, comme le montre Marie-Christine Mathieu), on arrive justement à “faire corps“ avec son instrument.
Des éléments de base de ce binôme corps / instrument sont localisés ici : la vibration interne se propage à partir de la source, dans le corps, dans l’instrument et jusque dans le sol par le tronc virtuel et les racines, et maintient l’air chaud vers l’embouchure car son flux est minimal.
En d’autres termes, l’expression musicale est maîtrisée dès que le corps s’efface derrière le son. Ainsi, le jeu de l’ensemble corps-instrument devient malléable, souple et contrôlable par le musicien, qui peut d’emblée se concentrer sur son discours, car le son est déjà installé (ou “placé “), et le reste se construit par-dessus : l’articulation, les nuances, les silences…
« Il faut en tout premier lieu, apprendre à se connaître : à prendre conscience de tout ce qui doit se faire avant d’en venir à émettre un son. »
Robert Pichaureau, Introduction à la Leçon de trompette
Le mûrissement du son
De nombreux constats découlent de cette approche, dont les préceptes me furent enseignés et démontrés par le maître Robert Pichaureau il y a quelques années (1983-85), et me nourrissent depuis, de façon continue et renouvelée : avec le temps, l’exercice et l’assimilation, les concepts mûrissent et s’éclaircissent pour devenir évidents.
Ce grand pédagogue a aidé de nombreux musiciens à découvrir et à (re)construire leur son, en déclinant ces principes de façon unifiée pour tout instrument, notamment à propos du violon intérieur de Dominique Hoppenot, pour aller au-delà des soufflants.
le son du violon intérieur
L’authentique vibration interne est vécue et ressentie en phase avec la respiration naturelle, nourrissant ainsi le discours musical qui se personnalise en gagnant en spontanéité.
Ainsi écrivait Dominique Hoppenot sur le vécu et l’expérimentation, dans Le violon intérieur :
« Pour exprimer (son art), (…) il faut exister au dedans, avoir quelque chose à dire, et pouvoir le dire.«
« Ce qui est vivant, toujours neuf dans un enseignement oral devient facilement dogmatique quand on le fixe par écrit et l’on risque de se satisfaire d’une compréhension intellectuelle alors que seule compte l’expérience vécue.«
« La vraie connaissance ne s’acquiert que dans la décomposition et l’assimilation de l’information à la personnalité de chacun, et “savoir“ passe nécessairement par l’obligation d’expérimenter personnellement.«
Dominique Hoppenot, Le violon intérieur
La tête dans l’art
Selon une approche analogue, le Traité méthodique de pédagogie instrumentale, écrit par Michel Ricquier, permet aussi de comprendre et de dérouler la production du son de l’instrumentiste à vent. En complément, le rôle essentiel du mental pour l’expression artistique est développé dans son ouvrage L’utilisation de vos ressources intérieures.
Aux États-Unis, Joe Allard fut un illustre maître, clarinettiste et saxophoniste, qui a formé plusieurs générations de musiciens selon des principes analogues.
« If you know how to play, if you understand your approach, then you have a good plan for your playing. You eliminate much of the fear of playing. There’s still concern because you want to play well, but you’re not afraid to blow.«
Joe Allard : His Contributions to Saxophone Pedagogy and Performance, by Debra Jean McKim
David Liebman est l’un de ses célèbres disciples, qui a plus tard formalisé ses idées dans son ouvrage Developing a Personal Saxophone Sound.
« In truth, there are no rules, only concepts. In all honesty, it took me years to understand some of his directions. This was especially true for the all-important overtone exercises and their significance. It finally dawned on me during my twenties how much the tone of the great players evidenced ease of production, evenness of sound, a rich and deep sonority, and most of all, personal expressiveness. »
David Liebman, Developing a Personal Saxophone Sound
Les grands musiciens de tous styles représentent autant de démonstrations vivantes du son personnalisé.
Je citerais, parmi les plus significatifs pour moi, Charlie Parker, Phil Woods, Cannonball Adderley, David Liebman, Eddie Daniels, Miles Davis, Chet Baker, Clark Terry, Patrick Bartley, Pierrick Pédron, Jean-Charles Richard, Géraldine Laurent, Baptiste Herbin, Martin Fröst, Romain Guyot, Maurice André, Timofei Dokshizer, Guy Touvron…
Les éclairages multiples du son
Ces enseignements alimentent mon interprétation, déclinée à travers les thèmes suivants, sélectionnés selon mes perceptions, résultant d’une assimilation raisonnée de la méthode Pichaureau et d’autres concepts complémentaires :
instrument
La vibration interne est transmise par le corps du musicien à l’instrument, qui joue le rôle d’amplificateur : faire sonner son instrument vise à en optimiser la résonance.
posture
Le positionnement du corps doit éviter les contraintes inutiles, par la relaxation descendant le long de la colonne de son maintenue verticale, jusque dans le sol.
air et respiration
Le bon son se forme sur l’expir, qui prolonge l’inspir sans rupture : l’objectif est de le capter en suivant sa respiration naturelle.
colonne de son
La colonne d’air, mieux désignée par “colonne de son”, est imaginée la plus longue possible : elle nourrit la vibration interne, ensuite amplifiée par l’instrument.
ne pas souffler
La conduite de la vibration interne vers l’intérieur implique de ne pas extérioriser le mouvement : ainsi, en évitant de souffler explicitement, on laisse se déployer la résonance globale, sans perturber le son par des contraintes inutiles.
source du son
À partir du centre du diaphragme, on imagine l’origine profonde de sa vibration interne, jusque dans les talons, en excitant la base de la colonne de son qui fait vibrer ensuite le corps du musicien, puis l’instrument.
embouchure
La vibration interne se propage par l’embouchure – imaginée à la base de la colonne de son – en générant le son produit par l’ensemble corps / instrument, ce qui nécessite une bonne réactivité du matériel.
doigts et langue
Les doigts et la langue apparaissent finalement comme les outils du sculpteur de sons que devient l’instrumentiste, dont l’expression est personnalisée par sa vibration interne.
tronc virtuel
À l’instar du sportif qui transcende sa performance en se fondant dans son bassin, le musicien oublie son tronc au profit de ses membres inférieurs qui peuvent être assimilés à un autre tronc, virtuel celui-là : il apparaît alors comme la fondation du corps vibrant et résonant avec l’espace environnant.
aigus et graves
L’exploration de la tessiture est facilitée par le maintien de la relaxation au bas de la colonne de son, là où l’inspir et l’expir s’enchaînent naturellement dans le gras de la vibration : le legato et l’articulation sur les grands intervalles devient maîtrisable, en conservant le grain du son.
sensations
La perception de sa respiration naturelle combinée avec l’exigence de non-poussée permet de laisser s’écouler la relaxation, dans le plaisir du lâcher-prise.
convergence
Lorsque ces nombreux facteurs convergent vers le centre vital, on peut parler de l’unification du corps derrière l’instrument, qui en capte l’énergie vibrante pour la faire rayonner.
Références
Les auteurs cités dans ces références nourrissent mes réflexions sur la maîtrise de la vibration interne et fournissent de nombreuses pistes vers la pleine expression de l’intention musicale.