La respiration et le son sur l’air
La conduite de la vibration interne par la respiration naturelle est décisive pour la qualité du son produit, et ne requiert qu’une consommation d’air minimale.
On ne manque pas d’air !
La vibration se propage vers l’instrument à partir du centre du son, que l’on apprend à localiser et à ressentir en observant sa respiration naturelle : nous baignons dans l’air environnant, que notre corps ingère spontanément lors de l’inspiration, grâce à l’action spontanée du diaphragme entraînant alors les muscles qui l’entourent.
Pendant cette phase d’inspiration, afin de garantir la plénitude du son à venir, il ne faut pas emmagasiner plus d’air que ce que le corps en obtient par le fonctionnement naturel du diaphragme : en d’autres termes, ne surtout pas vouloir prendre de l’air, comme le montre Alfred Tomatis dans L’oreille et la voix.
“Mais comment s’y prend-on, en l’occurrence, pour aborder le problème, à l’envers ? Tout bonnement en analysant la respiration normale.”
“Il faut “prendre“ certes de l’air, mais de manière confortable, sans plus. Puis il faut savoir distribuer cet air, en régler le débit avec le minimum de pression, comme pour caresser les cordes vocales. Celles-ci, quant à elles, se mettent alors à vibrer et à exciter la colonne osseuse qui, de son côté, se met à chanter.”
Alfred Tomatis, L’oreille et la voix
“L’idée la plus délicate à comprendre est que l’instrumentiste, lors de l’inspiration, doit LÂCHER son diaphragme…en d’autres termes, ne pas le contrôler, ce qui l’empêcherait de travailler par lui-même. Avoir, même simplement en pensée, un impact volontaire sur ce muscle, c’est automatiquement limiter son action.”
Dr Delphine Olivier-Bonfils, La respiration diaphragmatique – Article publié dans le Journal de l’Association française du Cor 2000 n° 78
on chante à l’air libre
En résumé,
- le fait de vouloir prendre de l’air provoquerait des contractions qui altèreraient la richesse de la vibration interne (le spectre sonore) ;
- ces contractions parasites perturberaient la colonne de son : on ne serait plus “assis“ sur l’air ;
- du même coup, un surplus d’énergie serait consommé à mauvais escient par ces contractions pendant le discours musical, jusqu’à l’inspiration suivante, ce qui réduirait du même coup sa durée et sa maîtrise.
“Encore une fois, nous rappelons que tout est fondé ici sur l’effort à observer pour éviter l’effort. (…) En réalité, le fait de chanter et de chanter bien réintroduit la découverte d’une respiration vraie, calme, non stressée, d’un véritable rythme physiologique.”
“Certes, tous ces mouvements et gestes sont également d’origine musculaire. Mais ils répondent en fait à l’ensemble antagoniste des muscles de poussée.”
Alfred Tomatis, L’oreille et la voix
Lorsque l’on s’observe en train de respirer naturellement, en relâchant le bas du dos vers l’arrière pour éviter les tensions inutiles, on prend conscience de la liaison de son corps avec le sol, matérialisée par les membres inférieurs, à l’instar d’un tronc avec ses racines.
“Je dissertais sur la respiration large et ample, non poussée.”
Alfred Tomatis, L’oreille et la voix
Puis, en se relaxant jusqu’à la base de la colonne de son, on laisse la vibration intérieure partir des talons, en voulant prononcer la voyelle « ah », et on ne pousse surtout pas, afin de consommer le moins d’air possible et d’élargir son spectre sonore.
“Il s’agit en fait d’observer une attitude d’abandon de soi-même (…)”
“(…) ce son régulièrement émis rééquilibre la respiration sur un mode de non-poussée. L’acte respiratoire dépend en effet du comportement laryngé car il existe une véritable imbrication entre le jeu du larynx et la coulée respiratoire.”
“La grande respiration ample et tranquille est celle qui est souhaitable à tous moments de la vie.”
“À vrai dire, dans sa plénitude, elle est l’exception et elle n’est réellement acquise qu’au prix d’un long et sérieux apprentissage. Une fois que le mécanisme repiratoire souhaité est enfin obtenu, il faut l’appliquer à l’acte chanté. Il s’agit du même processus mais avec un jeu bien spécifique auquel s’associent des sensations proprioceptives caractéristiques.”
“Ainsi donc, chez la plupart des chanteurs expérimentés, seul le diaphragme est opérationnel. Seul, il assure toute la dynamique phonatoire tandis que le thorax reste pratiquement immobile, en dilatation. (…) Beniamino Gili par exemple me précisait qu’il laissait “tomber son ventre par terre“ et ce pour respirer et tenter de maintenir cette même impression tout au long de l’émission, c’est-à-dire autant que devait durer la coulée du souffle. C’était un bon moyen pour que la musculature abdominale n’interfère pas sur le jeu diaphragmatique.”
“(…) chanter, c’est agir sous l’effet de l’expiration.”
Alfred Tomatis, L’oreille et la voix
Le réveil des sensations internes
La meilleure qualité d’air est donc obtenue par une parfaite relaxation de l’abdomen jusqu’à ce que le son décolle, synchronisé avec l’expiration, comme le démontrent scientifiquement Claudia Spahn, Bernhard Richter, Johannes Pöppe et Matthias Echternach dans leurs Éclairages physiologiques pour les instrumentistes à vent : on peut atteindre cet état en se concentrant sur son inspiration spontanée, en évitant toute contraction inutile grâce au lâcher-prise vers le bas et l’arrière du dos, puis en imaginant la colonne de son se dérouler verticalement jusqu’aux talons et dans le sol.
“Ce processus souple de respiration contrôlée est désigné par “souffle soutenu”. Ainsi, la quantité d’air émise résulte de l’action finement coordonnée des muscles de l’inspiration et de l’expiration fonctionnant simultanément.”
le lâcher-prise : laisse tomber !
En laissant descendre la relaxation depuis son torse jusqu’à la source du son, l’instrumentiste assure la continuité de l’inspiration avec l’expiration, qui porte ensuite la vibration.
“L’expiration est essentiellement une activité passive lors de la respiration spontanée, puisque le diaphragme est relâché pendant que, sous l’action de la gravité et de la réinitialisation, le torse et les poumons réagissent comme un ressort en se rétrécissant.”
“L’expiration doit se déployer lentement et régulièrement afin de permettre la bonne interprétation d’une ballade musicale.”
“Prolongeant l’inspiration, qui s’accompagne de l’expansion de la poitrine, l’expiration continue automatiquement grâce à la relaxation musculaire et l’air est expiré sans aucune contraction.”
Claudia Spahn, Bernhard Richter, Johannes Pöppe et Matthias Echternach – (extraits traduits par Guy Robert)
L’unification du corps résulte de cette attitude, ignorant les sensations au-dessus du diaphragme, comme Dominique Hoppenot le rappelle dans Le violon intérieur.
“La coupure entre “haut“ et “bas“ disparaît lorsque le corps est unifié par la bascule du bassin.”
Dominique Hoppenot, Le violon intérieur
On peut reprendre l’analogie déjà évoquée entre l’archet et la colonne de son, pour la pose du son à l’émission initiale : la première poussée de l’archet du violoniste correspond à la mise en vibration de la colonne de son de l’instrumentiste à vent, au moment précis où l’inspiration devient expiration, lors du passage de relais entre le diaphragme et le transverse de l’abdomen.
“Pour hâter la prise de conscience des muscles de notre dos et les intégrer plus rapidement à l’action instrumentale, il est recommandé de les “imaginer“, d’en concevoir le rôle, de les localiser, de les faire jouer à volonté (…)”
“Celui qui sait achever un son est assuré de pouvoir le reprendre.”
“La respiration (…) met en jeu le tronc tout entier, depuis le nez jusqu’à l’anus, dans une synergie musculaire complexe et admirable qui apparaît comme une immense vague qui monte et descend le long du tronc, sans délimitation de frontière entre le bas et le haut.”
“L’inspiration consiste alors en une tension active du diaphragme, liée à une détente des muscles abdominaux et pelviens tandis que l’expiration se fait par une tension active de ces mêmes muscles abdominaux repoussant vers le haut le diaphragme alors détendu.”
Dominique Hoppenot, Le violon intérieur
le son vient du corps tout entier
Ce mouvement continu amène ensuite sans rupture la tranquille pose du son à l’expiration naissante, prolongeant l’inspiration. La vibration est alors pilotée par un muscle abdominal particulier, le transverse de l’abdomen, mis en évidence notamment par Marie-Christine Mathieu : pour maintenir le “bon“ son, il faut toujours ressentir l’action souple de ce muscle dirigée vers l’intérieur et vers le bas, pendant qu’il fait lentement remonter le diaphragme, ce qui peut sembler paradoxal, en apparence seulement.
“Le transverse est tout simplement le principal muscle antagoniste du diaphragme. Il entre en scène pour évacuer l’air rapidement et puissamment, quand le relâchement du diaphragme – peu efficace – ne suffit plus.”
Marie-Christine Mathieu, Gestes et postures du musicien
À l’épuisement de l’air disponible, le relâchement de ce muscle provoque une nouvelle inspiration spontanée, faisant redescendre le diaphragme qui entraîne alors la base des poumons pour les remplir : le maintien sous le sternum de la sensation de la source sonore garantit la continuité du son à l’expiration suivante.
“L’homme vrai respire avec ses talons.“
Robert Pichaureau, Expressions favorites
“Il faut se décontracter à la fin de l’inspiration, comme ça, ça joue.”
“Les côtes flottantes se soulèvent et on dit que c’est une respiration costo-abdominale-diaphragmatique. On devrait même dire diaphragmatique-costo-abdominale, parce que c’est grâce au diaphragme qu’il y a inspiration.”
“Lorsque nous jouons, lorsque nous chantons, le diaphragme monte, on ne s’en occupe pas, mais enfin il monte. La décontraction entraîne l’inspiration, je n’ai pas à inspirer, le diaphragme fait son travail. Lâchez tout ! Ne prenez pas d’air ! Merci, et ça repart, et là…c’est de la musique qui entre, ce n’est pas de l’air.”
Robert Pichaureau, La respiration
“Le fonctionnement du diaphragme conditionne la liberté des voies aériennes indispensable à l’apprentissage technique des instruments à vent.”
“Chez les chanteurs et les souffleurs, le maximum respiratoire n’est pas l’optimum technique.”
“La mobilité du diaphragme au niveau des côtes flottantes et la souplesse de la mâchoire conditionnent toutes deux l’ouverture du pharynx, la libre circulation de l’air et donc l’ampleur et la richesse harmonique du son et le confort de l’émission.”
Dr Delphine Olivier-Bonfils, La respiration diaphragmatique – Article publié dans le Journal de l’Association française du Cor 2000 n° 78
“L’air doit descendre pour l’inspiration et surtout ne pas remonter pour l’expiration, mais au contraire, continuer de descendre. Peu importe par où il sort, mais pour vous, il ne remonte pas pour sortir par la bouche, il continue de descendre pendant votre expiration grave et la poussée verticale.”
Michel Ricquier, Traité de pédagogie instrumentale
“Le fait de penser à la respiration déclenche sa restriction, en forçant les muscles concernés à agir contre ce mouvement naturel…Alors que votre simple concentration sur l’objectif musical visé orientera la gestion de votre air.”
Joe Allard – (Traduit par Guy Robert)
David Liebman rapporte ainsi les mots de Joe Allard (d’ascendance québécoise, et dont le premier professeur de clarinette Gaston Hamelin était français), qui lui a fait découvrir la maîtrise du son :
“Joe Allard would say (in perfect French of course) : “Jouer, c’est respirer, il n’y a pas de différence.””
David Liebman, Developing a Personal Saxophone Sound
Et George Kochevistsky rappelle que l’identification de la source de la vibration conduit à un effort physique minimal :
“L’accomplissement d’un geste complexe non seulement exige une synchronisation précise, mais aussi ne requiert que le travail musculaire minimal nécessaire à une action donnée. Cet objectif est atteint en localisant le processus excitatoire.”
George Kochevistsky, The Art Of Piano Playing – (Traduit par Guy Robert)